Bienvenue au chateau de Périgueux
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| Lais de Marie de France | |
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Melior Ancien Régnant
Nombre de messages : 1143 Date d'inscription : 01/03/2007
| Sujet: Lais de Marie de France 03.08.08 8:57 | |
| Bisclavret - Citation :
En Bretagne vivait un baron dont j’ai entendu dire le plus grand bien. C’était un beau et valeureux chevalier et il se conduisait avec dignité. Il était prisé par son seigneur et aimé de ses voisins. Il avait une femme noble et de belle allure. Ils s’aimaient tous les deux. Cependant la femme avait du soucis: elle perdait son époux trois jours entiers par semaine et ne savait pas ce qu’il devenait ni où il allait. Et nul des siens n’en savait rien non plus. Une fois où il était rentré chez lui, joyeux et content, elle lui demanda : «Seigneur, mon doux et tendre ami, si j’osais, j’aimerais vous poser une question mais je ne crains rien autant que votre colère.» À ces mots, il la serra dans ses bras, l’attira contre lui et l’embrassa. «Dame, dit-il, posez votre question ! Jamais je ne vous cacherai quelque chose si vous me le demandez et que je connais la réponse. – Sur ma foi, dit-elle, je suis soulagée ! Seigneur, les jours où vous me quittez, je suis très effrayée. J’ai si mal au cœur, et si peur de vous perdre que si je n’ai vite du réconfort, je risque d’en mourir sous peu. Dites-moi donc où vous allez, où vous êtes et où vous demeurez. J’ai peur que vous n’aimiez une autre femme, si c’est vrai, c’est très mal agir. – Dame, dit-il, au nom de dieu, pitié ! Si je vous le dis , il m’arrivera malheur car vous cesserez de m’aimez et je serais perdu.» Quand la dame entendit sa réponse, elle ne la prit par à la légère. Plusieurs fois elle l’interrogea, elle le flatta et le cajola si bien qu’il lui raconta son aventure, sans rien lui cacher : « Dame, je deviens un loup-garou. Je me rends dans cette grande forêt, au plus profond du bois, et j’y vis de proies et de rapines. » Lorsqu’il lui a tout raconté, elle lui demande s’il quitte ses vêtements ou s’il les garde. « Dame, dit-il, je reste tout nu. – Dites-moi, au nom de dieu, où sont vos vêtements ? – Dame, cela je ne vous le dirai pas, car si je les perdais et qu’ils étaient aperçus, je serais loup-garou pour toujours. Je n’aurais plus aucun secours jusqu’à ce qu’ils me soient rendus. C’est pour cela que je ne veux pas qu’on le sache. – Seigneur, répondit la dame, je vous aime plus que tout au monde. Vous ne devez rien me cacher ni douter de moi sur rien ou alors c’est que vous ne m’aimez pas. Qu’ai-je fais de mal, pour quel péché doutez-vous de moi ? Dites-le moi, vous ferez bien.» Elle le tourmenta et l’accabla tant qu’il ne put rien faire d’autre que le lui dire. « Dame, dit-il, près de ces bois, près du chemin par lequel je passe, se trouve une vieille chapelle, qui bien des fois, me rend service. Là, sous un buisson, il y a une grosse pierre creuse, toute évidée. Je mets mes vêtements sous le buisson jusqu’à ce que je regagne la maison.» En entendant ce prodige, la dame devint rouge de peur. L’aventure la terrifiait. Elle chercha plusieurs fois le moyen de se séparer de lui. Elle ne voulait plus se coucher à côté de lui. Elle envoya un message à un chevalier du pays qui l’aimait depuis longtemps, qui l’avait beaucoup priée, suppliée et qui lui avait souvent proposé ses services ( alors qu’elle ne l’avait jamais aimé et refusait son amour). Elle lui ouvrit son cœur : « Ami, dit-elle, réjouissez-vous ! Je vais mettre un terme à ce qui vous fait souffrir, vous n’aurez plus aucune résistance. Je vous offre mon amour et mon corps. Faites de moi votre amie. » Le chevalier la remercie vivement, et ils se fiancent et elle prête serment. Puis elle lui raconte comment son mari s’en va et ce qu’il devient. Elle lui indique avec précision le chemin qu’il emprunte et pour l’envoyer chercher ses vêtements. C’est ainsi que Bisclavret fut trahi et par sa femme, condamné au malheur. Parce qu’il avait coutume de disparaître, tout le monde pensa qu’il n’ était pas parti pour de bon. Il fut pourtant recherché et demandé mais on ne put le retrouver. On renonça donc à le revoir. La dame épousa donc le chevalier qui l’aimait depuis si longtemps. Il s’était écoulé un an entier quand le roi alla chasser. Il se rendit tout droit dans la forêt où Bisclavret se trouvait. Quand les chiens furent lâchés, ils rencontrèrent Bisclavret. Toute la journée, chiens et veneurs courent après lui et il s’en faut de peu qu’ils ne l’attrapent, le déchirent et ne le tuent. Dès qu’il aperçoit le roi, il court jusqu’à lui pour implorer sa grâce. Il saisit son étrier et lui baise la jambe et le pied. Le roi le voit et a très peur, il appelle tous ses compagnons. «Seigneurs, dit-il, venez voir ce prodige, regardez comment cette bête se prosterne ! Elle a l’intelligence d’un homme, elle implore ma grâce. Chassez-moi tous ces chiens en arrière et prenez garde que personne ne le frappe. Cette bête est dotée de sens et de raison. Dépêchez-vous ! Allons-nous en ! J’accorde ma protection à cette bête. Je ne chasserai pas aujourd’hui.» Le roi s’en est retourné, suivi de Bisclavret, il se tenait tout près de lui et n’en voulait partir, il n’avait pas envie de déguerpir. Le roi l’emmène dans son château. Il était très heureux, cela lui plaisait car il n’avait jamais rien vu de tel. Il tient beaucoup à la bête à cause du prodige auquel il a assisté. Il ordonne à tous les siens d’en prendre soin par amour pour lui, qu’ils ne lui fassent pas de mal, qu’il ne soit frappé par aucun d’entre eux et qu’il soit bien abreuvé et repus. Ceux-ci s’occupent de lui bien volontiers. Tous les jours il allait se coucher près du roi, entre les chevaliers. Tout le monde l’aimait car il était gentil et bien intentionné et qu’il ne voulait pas faire de mal. Ils allaient ensemble tout au long de la journée, il s’apercevait bien qu’il l’aimait.
Mais écoutez la suite de l’histoire. Le roi tint une cour et invita tous les barons, qui avaient un fief de lui, pour donner à sa fête plus d’éclat. Le chevalier qui avait épousé la femme de Bisclavret s’y été rendu, richement équipé. Il ne pouvait deviner qu’il devait trouver Bisclavret si près de lui. Aussitôt qu’il arriva au palais, Bisclavret l’aperçu, il s’élança vers lui, l’attrapa avec ses crocs et le tira vers lui. Il lui aurait déjà fait bien du mal si le roi ne l’avait appelé et ne l’avait menacé d’une verge. Deux fois, ce jour-là, il tenta de le mordre. La plupart des gens étaient très étonnés car jamais il n’avait eu un tel comportement envers un homme. À cause de cela, tous les gens du château disent qu’il ne fait pas cela sans raison et que le chevalier a dû lui faire tort pour qu’il veuille à tout prix se venger. Cette fois les choses en restèrent là : la fête s’acheva et les barons prirent congé et regagné leur maison. Le chevalier attaqué par Bisclavret est parti parmi les premiers. Ce n’est pas étonnant qu’il le haïsse. Peu de temps s’était écoulé, je pense, quand le roi, si sage et courtois, alla chasser avec Bisclavret dans la forêt où il avait été trouvé. La nuit, en repartant, il se logea dans le pays. La femme de Bisclavret fut au courant. Elle s’habilla richement. Et le lendemain, elle vint parler au roi, en lui faisant don de riches présents. Quand Bisclavret la vit arriver, personne ne put le retenir : il se précipite sur elle comme un enragé. Ecoutez comme il s’est bien vengé ! Il lui arracha le nez du visage. Qu’aurait-il pu faire de pire ? on le menace de tous côtés et on l’aurait déjà mis en pièce si un sage chevalier n’était intervenu : «Seigneur, écoutez-moi. Nous tous, nous l’avons vu et avons vécu à ses côtés depuis longtemps. Il n’a jamais touché personne ni montré de la cruauté à part envers cette femme. Par la foi que je vous dois, il a des raisons d’en vouloir à cette femme et à son mari. C’est la femme du chevalier que vous aimiez tant et qui a disparu depuis longtemps sans que l’on sache ce qu’il est devenu. Interrogez donc cette femme pour voir si elle n’a rien à avouer pour expliquer pourquoi cette bête la hait. Faites le lui dire si elle le sait. Nous avons déjà assisté à bien des prodiges en Bretagne!» Le roi suivit son conseil. Il a retenu le chevalier d’un côté et de l’autre, il a saisi la dame et la soumise à la torture. À cause de la douleur et de la peur, elle a raconté toute l’histoire de son époux, de quelle façon elle l’avait trahi, volé ses vêtements, tout ce qu’il lui avait confié, où il allait et ce qu’il devenait. Depuis que ses vêtements lui avaient été dérobés, il n’avait pas reparu dans le pays. Elle était donc persuadée que la bête n’était autre que Bisclavret. Le roi lui demande les vêtements et lui ordonne de les apporter à Bisclavret qu’elle le veuille ou non. Le roi appela le sage chevalier qui l’avait déjà conseillé : «Seigneur, dit-il, vous avez tort. Il n’accepterait pour rien au monde de remettre ses vêtements devant vous et de quitter son apparence de bête. Vous ne comprenez pas qu’il est rempli de honte. Faites- le monter dans vos appartements, et les vêtements aussi et laissez-le un bon moment. S’il redevient homme, nous le verrons bien.» Le roi en personne l’accompagna et ferma toutes les portes derrière lui. Un peu plus tard, il y est retourné, accompagné de deux barons. Ils entrèrent tous trois dans la chambre et trouvèrent le chevalier endormi sur le lit même du roi. Le roi court le prendre dans ses bras. Plus de cent fois, il l’étreint et l’embrasse. Dès qu’il en eut la possibilité, il lui rendit tout son domaine, il lui donna même plus que je ne saurais dire. Il a banni et chassé la femme du pays. Elle partit avec celui pour lequel elle avait trahi son mari. Elle en a eu beaucoup d’enfants ; on les reconnaissait facilement à leur air et à leur visage:car, bien des femmes de leur descendance naquirent et, c’est la vérité, vécurent sans nez. L’aventure que vous venez d’entendre est vraie, n’en doutez pas. On en a fait le lai de Bisclavret pour que l’on s’en souvienne toujours.
Dernière édition par Melior le 03.08.08 9:05, édité 1 fois | |
| | | Melior Ancien Régnant
Nombre de messages : 1143 Date d'inscription : 01/03/2007
| Sujet: Re: Lais de Marie de France 03.08.08 9:04 | |
| Le lai d'Equitan (ancien français) - Citation :
- Mut unt esté noble barun
Cil de bretaine, li bretun. Jadis suleient par prüesce, Par curteisie e par noblesce Des aventures que oiëent, Ki a plusur gent aveneient, Fere les lais pur remembrance, Que [hum] new meïst en ubliance. Un en firent, ceo oi cunter, Ki ne fet mie a ublïer, D'equitan que mut fu curteis, Sire de nauns, jostis'e reis. Equitan fu mut de grant pris E mut amez en sun païs; Deduit amout e drüerie: Pur ceo maintint chevalerie. Cil met[ent] lur vie en nu[n]cure Que d'amur n'unt sen e mesure; Tels est la mesure de amer Que nul n'i deit reisun garder. Equitan ot un seneschal, Bon chevaler, pruz e leal; Tute sa tere li gardoit E meinteneit e justisoit. Ja, se pur ostïer ne fust, Pur nul busuin ki li creüst Li reis ne laissast sun chacier, Sun deduire, sun riveier. Femme espuse ot li seneschals, Dunt puis vient el païs granz mal[s]. La dame ert bele durement E de mut bon affeitement, Gent cors out e bele faiture; En li former uvrat nature; Les oilz out veirs e bel le vis, Bele buche, neis ben asis. El rëaume n'aveit sa per. Li reis l'oï sovent loër. Soventefez la salua, De ses aveirs li enveia; Sanz veüe la coveita, E cum ainz pot a li parla. Priveement esbanïer En la cuntree ala chacier. La u li seneschal maneit, El chastel u la dame esteit, [se] herberjat li reis la nuit, Quant repeirout de sun deduit. Asez poeit a li parler, Sun curage e sun bien mustrer. Mut la trova curteise e sage, Bele de cors e de visage, De bel semblant e enveisie; Urs l'ad mis a sa maisnie. Une s[e]ete ad vers lui traite, Que mut grant plaie li ad faite, El quor li ad lancie e mise; N'i ad mestier sens ne cointise; Pur la dame l'ad si suspris, Tut en est murnes e pensis. Or l'i estut del tut entendre, Ne se purrat nïent defendre: La nuit ne dort ne [ne]respose, Mes sei meïsmes blasme e chose. «allas,» fet il, «queil destinee M'amenat en ceste cuntree? Pur ceste dame que ai veüe M'est un'anguisse al quor ferue Que tut le cors me fet trembler. Jeo quit que mei l'estuet amer; E si jo l'aim, jeo ferai mal: Ceo est la femme al seneschal. Garder li dei amur e fei, Si cum jeo voil k'il face a mei. Si par nul engin le saveit, Bien sai que mut l'en pesereit. Mes nepurquant pis iert asiz Que pur li seië afolez. Si bele dame tant mar fust, S'ele n'amast u dru eüst! Que devendreit sa curteisie, S'ele n'amast de drüerie? Suz ciel n'ad humme, s'ele amast, Ki durement n'en amendast. Li seneschal, si l'ot cunter, Ne l'en deit mie trop peser; Sul ne la peot il nient tenir: Certes jeo viol od li partir.» Quant ceo ot dit, si suspira; Enprés se jut e si pensa. Aprés parlat e dist: «de quei Sui en estrif e en effrei? Uncor ne sai ne n'ai seü S'ele fereit de mei sun dru; Mes jeo savrai hastivement. S'ele sentist ceo ke jeo sent, Jeo perdrei[e] ceste dolur. E deus! Tant ad de ci que al jur! Jeo ne puis ja repos aveir: Mut ad ke jeo cuchai eirseir.» Li reis veilla tant que jur fu; A grant peinë ad atendu. Il est levez, si vet chacier; Mes tost se mist el repeirer E dit que mut est deshaitiez. Es chambres vet, si s'est cuchiez. Dolent en est li senescaus: Il ne seit pas queils est li maus De quei li reis sent les friçuns; Sa femme en est dreit'acheisuns. Pur sei deduire e cunforter La fist venir a li parler. Sun curage li descovri, Saver li fet qu'il meort pur li; Del tut li peot faire confort E bien li peot doner [l]a mort. «sire,» la dame li ad dit, «de ceo m'estuet aveir respit: A ceste primere feiee Ne sui jeo mie cunseillee. Vus estes rei de grant noblesce; Ne sui mie de teu richesce Que [a] mei [vus] deiez arester De drüerie ne de amer. S'avïez fait vostre talent, Jeo sai de veir, ne dut nïent, Tost me avrïez entrelaissie[e], Jeo sai de veir, ne dut nïent, Së [is]si fust que vus amasse E vostre requeste otreiasse, Ne sereit pas üel partie Entre nus deus la drüerie. Pur ceo quë estes rei puissaunz E mi sire est de vus tenaunz, Quidereiez, a mun espeir, Le danger de l'amur aveir. Amur n'est pruz se n'est egals. Meuz vaut un povre[s] hum lëals, Si en sei ad sen e valur, [e] greinur joie est de s'amur Quë il n'est de prince u de rei, Quant il n'ad lëauté en sei. S'aukuns aime plus ha[u]tement Que [a] sa richesce nen apent, Cil se dut[e] de tute rien Li riches hum requid[e] bien Que nuls ne li toille s'amie Qu'il volt amer par seignurie.» Equitan li respunt aprés: «dame, merci! Nel dites mes! Cil ne sunt mie fin curteis, Ainz est bargaine de burgeis, Que pur aveir ne pur grant fieu Mettent lur peine en malveis lui. Suz ciel n'ad dame, s'ele est sage, Surteise e franche de curage, Pur quei d'amer se tienge chiere, Que el ne seit mie novelere, S'ele n'eüst fors sul sun mantel, Que uns riches princes de chastel Ne se deüst pur li pener E lëalment e bien amer. Cil ki de amur sunt nov[e]lier E ki se aturnent de trichier, Il sunt gabé e deceü; De plusurs l'avum nus veü. N'est pas merveille se cil pert Ki par s'ovreine le desert. Ma chiere dame, a vus m'otrei! Ne me tenez mie pur rei, Mes pur vostre hum e vostre ami! Seürement vus jur e di Que jeo ferai vostre pleisir. Ne me laissez pur vus murir! Vus seiez dame e jeo servant, Vus orguilluse e jeo preiant!» Tant ad li reis parlé od li E tant li ad crïé merci Que de s'amur l'aseüra, E el sun cors li otria. Par lur anels s'entresaisirent, Lur fiaunce[s] s'entreplevirent. Bien les tiendrent, mut s'entr'amerent; Puis en mururent e finerent. Lung tens durrat lur drüerie, Que ne fu pas de gent oïe. As termes de lur assembler, Quant ensemble durent parler, Li reis feseit dire a sa gent Que seignez iert priveement. Les us des chambres furent clos; Ne troveissez humme si os, Si li rei pur lui n'enveiast, Ja une feiz dedenz entrast. Li seneschal la curt teneit, Les plaiz e les clamurs oieit. Li reis l'ama mut lungement, Que d'autre femme n'ot talent: Il ne voleit nule espuser, Ja n'en rovast oïr parler. La gent le tindrent mut a mal, Tant que la femme al seneschal L'oï suvent; mut li pesa, E de lui perdre se duta. Quant ele pout a lui parler E el li duit joie mener, Baisier, estreindre e acoler E ensemblë of lui jüer, Forment plura e grant deol fist. Li reis demanda e enquist Que [ceo] deveit e que ceo fu. La dame li ad respundu: «sire, jo plur pur nostre amur, Que mei revert a grant dolur: Femme prendrez, fille a un rei, [e] si vus partirez de mei; Sovent l'oi dire e bien le sai. E jeo, lasse! Que devendrai? Pur vus m'estuet aver la mort; Car jeo ne sai autre cunfort.» Li reis li dit par grant amur: «bele amie, n'eiez poür! Certes, ja femme ne prendrai Ne pur autre [ne] vus larrai. Sacez de veir e si creez: Si vostre sire fust finez, Reïne e dame vus fereie; Ja pur [nul] humme nel lerreie.» La dame l'en ad mercïé E dit que mut li sot bon gre, E si de ceo l'aseürast Que pur autre ne la lessast, Hastivement purchacereit A sun seignur que mort sereit; Legier sereit a purchaceir, Pur ceo k'il li vousist aidier. Il li respunt que si ferat: Ja cele rien ne li dirrat Quë il ne face a sun poeir, Turt a folie u a saveir. «sire,» fet ele, «si vus plest, Venez chacer en la forest, En la cuntree u jeo sujur; Dedenz le chastel mun seignur Sujurnez; si serez seignez, E al terz jur si vus baignez. Mis sire od vus se seignera E avuec vus se baignera; Dites li bien, nel lessez mie, Quë il vus tienge cumpainie! E jeo ferai les bains temprer E les deus cuves aporter, Sun bain si chaut e si buillant, Suz ciel n'en ad humme vivant Ne fust escaudez e malmis, Einz que dedenz [se] fust asis. Quant mort serat e escaudez, Vos hummes e les soens mandez; Si lur mustrez cumfaitement Est mort al bain sudeinement.» Li reis li ad tut graanté Qu'il en ferat sa volenté. Ne demurat mie treis meis Que el païs vet chacier li reis. Seiner se fet cuntre sun mal, Ensemble of lue sun senescal. Al terz jur dist k'il baignereit; Li senescal mut le voleit. «vus baignerez,» dist il, «od mei.» Li senescal dit: «jo l'otrei.» La dame fet les bains temprer E les deus cuves aporter; Devant le lit tut a devise Ad chescune de[s] cives mise. L'ewe buillant feit aporter, U li senescal dut entrer. Li produm esteit sus levez: Pur deduire fu fors alez. La dame vient parler al rei, E il la mist dejuste sei; Sur le lit al seignur cucherent E deduistrent e enveiserent. Ileoc unt ensemble geü, Pur la cuve que devant fu. L'us firent tenir e garder; Une meschine i dut ester. Li senescal hastif revint, A l'hus buta, cele le tint; Icil le fiert par tel aïr, R force li estut ovrir. Le rei e sa femme ad trovez U il gisent entr'acolex. Li reis garda, sil vit venir. Pur sa vileinie covrir Dedenz la cive saut joinz pez, E il fu nuz e despuillez; Unques garde ne s'en dona. Ileoc murut [e] escauda; Sur lui est le mal revertiz, E cil en est sauf e fariz. Le senescal ad bien vië Coment del rei est avenu. Sa femme prent demeintenant, El bain la met le chief avant. Issi mururent amb[e]dui, Li reis avant, e ele of lui. Ki bien vodreit reisun entendre, Ici purreit ensample prendre: Tel purcace le mal d'autrui Dunt le mals [tut] revert sur lui. Issi avient cum dit vus ai. Li bretun en firent un lai, D'equitan, cum[ent] il fina E la dame que tant l'ama. | |
| | | Melior Ancien Régnant
Nombre de messages : 1143 Date d'inscription : 01/03/2007
| Sujet: Re: Lais de Marie de France 03.08.08 9:11 | |
| Le lai d'Equitan(français moderne) - Citation :
- C'étaient de bien nobles barons que les seigneurs de Bretagne, les Bretons. Ils avaient jadis une coutume qui témoignait de leur valeur, de leur courtoisie et de leur noblesse : quand ils entendaient raconter les aventures survenues autour d'eux, ils faisaient composer des lais pour en préserver le souvenir, pour leur éviter de tomber dans l'oubli. Ils en ont composé un que j'ai entendu conter et qui mérite bien qu'on le tire de l'oubli : c'est le lai d'Equitan, un courtois chevalier qui était seigneur des Nantais, juge souverain et roi.
Equitan était grandement honoré et aimé dans son pays. Il aimait les plaisirs de l'amour et se conduisait en vaillant chevalier pour les mériter. C'est mettre sa vie en danger que de n'observer ni sagesse, ni mesure en amour. Mais qui mesure l'amour constate qu'on peut y perdre la raison. Equitan avait pour sénéchal un bon chevalier, preux et loyal qui veillait sur sa terre et qui l'administrait. Car le roi n'aurait renoncé à ses parties de plaisir et de chasse au gibier de forêt et de rivière pour nulle affaire au monde, la guerre exceptée.
Le sénéchal avait une épouse qui devait apporter le malheur au pays, une dame d'une grande beauté et d'une parfaite éducation. La nature avait mis tous ses soins à modeler son corps harmonieux, à lui donner cette allure gracieuse, ce beau visage aux yeux scintillants, cette belle bouche, ce nez parfait, ces cheveux longs et brillants. Courtoise et de parole agréable, elle avait un teint de rose. Qu'en dire de plus ? Elle n'avait pas sa pareille dans le royaume. Le roi entendait souvent chanter ses louanges, lui adressait souvent ses salutations et des cadeaux. Avant même de l'avoir vue, il se mit à la désirer et lui parla dès qu'il le put. Il s'en alla un jour chasser sans escorte dans la région où habitait le sénéchal et la nuit venue, au retour de la chasse, demanda l'hospitalité dans le château où demeurait la dame. Il pouvait ainsi lui parler facilement, lui révéler son sentiment et son désir. Il l'a trouvée courtoise et sage, belle de corps et de visage, aimable et gaie. Amour a fait de lui l'un des siens : il lui a décoché une flèche qui l'a profondément blessé en se fichant dans son coeur. Sagesse et ruse ne servent à rien, possédé par son amour pour la dame, il est sombre et pensif. Il lui faut se vouer tout entier à cet amour maintenant car il n'y a pas de défense possible. La nuit, il ne trouve ni sommeil ni repos mais s'accuse lui même :
« Hélas, quelle destinée m'a mené dans dans ce pays ? La vue de cette dame m'a enfoncé dans le coeur une douleur qui me fait trembler de tout mon corps. Je ne puis que l'aimer, je crois. Mais si je l'aime, j'agirai mal, car c'est la femme de mon sénéchal. A lui je dois l'amitié et la fidélité que je lui demande de me témoigner. Si par trahison, il apprenait la chose, il en serait très malheureux, je le sais bien. Et pourtant ce sera bien pire si cette femme me fait mourir de douleur. Une telle beauté ne servirait à rien si cette dame n'aimait et n'avait un amant ! Que deviendrait sa courtoisie, si elle ne connaissait pas l'amour ? Et il n'est nul homme au monde, si elle l'aimait, que cet amour ne rendrait meilleur ! Quant au sénéchal, s'il l'apprend, il n'a nulle raison de tant se chagriner : il ne peut la garder pour lui seul ; je veux la partager avec lui ! ». Après cela, il soupire, se couche et médite encore.
Le roi veille jusqu'au lever du jour, qu'il a bien du mal à attendre. Il se lève, va chasser mais revient bien vite au château, en disant qu'il est souffrant, regagne sa chambre et se couche. Le sénéchal, désolé, ne connaît pas la maladie qui fait frissonner le roi : elle n'a d'autre cause que sa femme. Equitan fait venir la dame auprès de lui, pour trouver joie et réconfort. Il lui découvre ses sentiments, lui révèle qu'elle peut lui rendre la vie tout comme elle peut lui donner la mort. La dame se montre d'abord un peu rétive, le soupçonne de vouloir l'abandonner sitôt séduite. Equitan la prie et la supplie tant et si bien qu'elle lui cède, il obtient d'elle son amour et le don de sa personne. Ils échangent leurs anneaux, et s'engagent leur foi.
Ils s'aimèrent longtemps à l'insu de tous. Le roi l'aimait tant qu'il ne désirait pas se marier, et son entourage le lui reprochait vivement. Cela parvint aux oreilles de la dame, qui en éprouva une vive douleur. Elle craignait de perdre son amant. Alors qu'elle pleurait, il la questionna, lorsqu'elle lui avoua la raison de son chagrin, Equitan, plein d'amour, lui répondit : « Ma douce amie, n'ayez-pas peur ! Je n'épouserai aucune autre femme et je ne vous abandonnerai pour nulle autre. Je vous en fais le serment : si votre époux mourait, je ferais de vous ma reine et ma suzeraine ! Personne ne pourrait m'en empêcher ! » Un noir dessein se dessine alors pour les deux amants : provoquer la mort de l'époux. Elle décida de l'occire en l'ébouillantant dans un bain.
Trois mois plus tard, le roi va chasser sur les terres de son sénéchal. Il demande un bain. Le sénéchal s'empresse auprès de lui. « Vous vous baignerez en même temps que moi ! » dit Equitan. Le sénéchal acquiesce. La dame fait apporter deux cuves au pied du lit, l'une remplie d'eau bouillante. Le bon chevalier étant sorti se promener, son épouse rejoint le roi dans son lit, et ils s'adonnent aux plaisirs de l'amour. Ils font surveiller la porte par une jeune fille, mais voilà que le sénéchal revient et entre avant que la demoiselle n'ait eu le temps de prévenir les amants. Il découvre sa femme et le roi enlacés dans le lit. Equitan tente de cacher sa honte en sautant à pieds joints dans la cuve. Il meurt ébouillanté. Le sénéchal a bien vu ce qui est arrivé au roi, il saisit aussitôt le dame et la jette la tête la première dans le bain. Ainsi moururent les deux amants.
A bien y réfléchir, on pourrait tirer une leçon de ce récit : celui qui cherche le malheur d'autrui voit le malheur retomber sur lui. | |
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